"Geographies (MTM5)"

Après la réédition de Made To Measure Vol.1 et avant la parution du nouveau projet immersif de Nova Materia, le réveil de la série MTM se poursuit avec la réédition vinyle de l’un des plus beaux disques enregistrés par le formidable compositeur français:



Hector Zazou est réputé pour ses multiples albums et collaborations innovantes, dont les disques de Zazou Bikaye. Geographies, suite orchestrale parue en 1985, contient quelques-unes de ses compositions les plus exquises. On y croise un ensemble de musique de chambre, des voix (classiques ou pas), une production inventive, et des hommages à la fois ironiques et affectueux à la musique classique du début du 20e siècle. Avec des titres évocateurs tels Cine Cittá & Sidi Bel Abbès, une irrésistible chanson presque folk (Vera C.) et bien d’autres choses encore, cet album est un voyage intriguant et ludique à travers le temps et l’espace.

La pochette est illustrée par une peinture de Gérard Garouste, considéré à l’époque comme l’un des chefs de file
du mouvement néoclassique/post-moderniste.


Geographies


L’album a été enregistré à Paris entre 1982 et 1984, avec un ensemble de musiciens comprenant non moins de vingt-cinq instrumentistes et chanteurs. Subtilement orchestrées pour quatuor à cordes, bois, cuivres, guitare, piano, synthétiseur, percussions, effets sonores et voix, les neuf pièces regorgent d’atmosphères colorées et de moments proprement envoûtants.


L’album débute par Cine città, un titre qui dénote probablement l’affection que Zazou portait à certains compositeurs de musique de films italiens.

Denise à Venise rappelle les riches heures de la mélodie française (chère notamment à Debussy, Ravel, Satie).

Sidi Bel Abbès, pour quatuor à cordes et chanteurs classiques, évoque l’enfance d’Hector Zazou en Algérie.

L’album opère un tournant avec Vera C, sa mélodie irrésistible et ses paroles en espagnol (on pense fugitivement à un groupe comme Savath & Savalas), avant de plonger dans un territoire mystérieux avec Pali Kao. Le titre se réfère-t-il à la bataille qui se déroula en Chine, durant la seconde guerre de l’opium ? Ou à l’Usine de Pali-Kao, lieu de création artistique parisien fréquenté par nombreux plasticiens et musiciens au début des années 80 ? Ou, plus simplement, à la rue de Pali-Kao, à Belleville, près de laquelle Zazou résidait à l’époque ? Il se fait que nous avons récemment retrouvé une lettre révélant que le compositeur avait songé à intituler cette oeuvre L’Opéra de Pali Kao, et de sous-titrer ces quatre parties comme suit: a) Le jeune matelot, b) Les sirènes, c) Les brumes de Pali Kao, d) Le jour se lève.

Les trois morceaux suivants, Au bout du monde, Motel du sud et Sous les bougainvilliers sont largement instrumentaux. Ils contiennent des arrangements et ambiances qui figurent parmi les plus poétiques de l’oeuvre d’Hector Zazou.


L’album se clôt sur 
Des Cocotiers, plage rêveuse avec des voix presque enfantines, du vibraphone, des cordes, flûtes et bassons, ainsi que des enregistrement de terrain.

Geographies est complété par 13 Proverbes africains (pour quatuor vocal), un ensemble de treize courtes pièces, paru pour la première fois dans l’édition originale du CD, vers la fin des années 80. Il est à présent disponible en téléchargement via le code figurant dans l’édition vinyle. Notons que les versions remastérisées de Geographies et de 13 Proverbes africains sont également rééditées en formats CD et dématérialisé.



Ecrits par Zazou, les textes de 13 Proverbes africains (pour quatuor vocal) seraient basés sur des proverbes… réels ou imaginés. Ce qui n’est probablement pas sans rapport avec la fascination qu’exerçait sur Zazou l’oeuvre de Raymond Roussel (1877-1933), dont le travail a inspiré de nombreux écrivains tout au long du 20e siècle (des surréalistes à l’Oulipo en passant par les auteurs liés au nouveau roman). Vers la fin des années 70, Hector Zazou avait monté une performance théâtrale et musicale au Centre Pompidou, inspirée de l’oeuvre la plus célèbre de Roussel, Impressions d’Afrique (récit d’aventure parfaitement fictif et fantaisiste, entièrement construit à partir de jeux et contraintes verbales).
Durant la première décennie de la série Made to Measure (en gros, de 1984 à 1994), le verso de la plupart des albums de la série comprenait une phrase décrivant ce pour quoi la musique avait -censément- été composée: “Made to Measure (fait sur mesure) pour tel ou tel film”, etc. De nombreux albums étant des bandes-son imaginaires, les artistes confectionnaient souvent leur propre version de cette phrase. Hector Zazou avait opté pour “Made to Measure to flesh out the theory of post-modernism” (“fait sur mesure pour donner corps à la théorie du post-modernisme”). Zazou considérait que son approche de la musique de chambre, telle qu’il l’avait notamment adoptée dans cet album, présentait des similitudes avec l’attitude post-moderne cultivée à l’époque par des peintres, architectes, musiciens etc, qui faisaient systématiquement usage de réminiscences, de citations puisées dans plusieurs siècles d’histoire, à la fois avec ironie, irrévérence et nostalgie.



À la parution de Geographies en 1985, le critique d’art Gérard-Georges Lemaire écrivait ce texte destiné au dossier de presse : “Ses compositions concentrent des réminiscences qui ouvrent largement le spectre de l’art musical, de Gesualdo aux jazzmen, de Stravinsky aux airs de tango, des lieder romantiques aux facéties du Groupe des Six. Ses citations sont les figures hétérogènes d’une composition qui cultive ses contradictions et n’établit aucune hiérarchie de valeurs entre grande musique et musique populaire. Dans leurs déséquilibres recherchés, leurs disparités insolites, chargées de paradoxes et de contrastes, ses pièces pour grand ou petit orchestre finissent par instaurer une sorte d’harmonie excentrée et circulent comme des fantômes désinvoltes jouant un rôle à la fois tragique et bouffe. Hector Zazou manie la dérision en expert. Il est de ceux qui, aujourd’hui, inventent le doux et pervers style français. Il a l’esprit insolent et nostalgique du post-moderniste, mais est avant tout l’inventeur d’une manière qui traduit tous les vertiges et toutes les ambiguïtés d’un théâtre de la mémoire à la mesure de notre désir esthétique”.

Tout ceci pour évoquer le contexte dans lequel Hector Zazou faisait référence au post-modernisme, sans pouvoir deviner les différentes significations (positives ou négatives) que ce terme allait recouvrir dans les décennies qui ont suivi…



Hector Zazou


Né en Algérie, le parcours musical d’Hector Zazou débute à Marseille, avec l’un des groupes de rock underground les plus redoutables du début des années 70, le mythique collectif Barricades, qu’il co-fonde. Il commence à enregistrer avec ZNR, le duo qu’il forme avec un autre ex-Barricades, Joseph Racaille. Placé sous le double signe d’Erik Satie et de Captain Beefheart, intitulé Barricades 3, le premier album de ZNR (1976) demeure un classique, qui a inspiré des générations de groupes pop expérimentaux (dont, récemment, la galaxie Aquaserge, Julien Gasc & Forever Pavot).

Il s’installe à Paris vers la fin des années 70, et concocte quelques projets provocateurs: le scandaleux album La Perversitá (avec pochette Kiki Picasso/Bazooka et textes de Bayon), ainsi qu’un 45t qui raille Giscard d’Estaing durant la campagne présidentielle de 1981. 


À la même époque, il écrit de la musique de chambre, enregistre et fait paraître l’élégant 2e album de ZNR, fait jouer ses compositions par un quatuor à cordes (notamment dans le cadre de la Biennale de Paris), tout en travaillant comme journaliste pour un grand nombre de magazines et journaux (sous son vrai nom, Pierre Job).

Au début des années 80, Zazou entame des collaborations avec divers musiciens et chanteurs africains basés à Paris: Papa Wemba (le maxi Zazou Wemba paraît chez Crammed en 1982), Bony Bikaye et Kanda Bongo Man (séances qui formeront le point de départ de l’album Reivax au Bongo, paru par la suite sur Made To Measure). Puis advient cette expérience menée avec Bony Bikaye et les électroniciens CY1, qui donne naissance à l’incroyable Noir et blanc, monument afro-électro inégalé, album toujours archi-révéré à travers le monde. Tout en poursuivant l’aventure Zazou Bikaye (qui devient un groupe et enregistre deux autres albums, dont Mr Manager, récemment réédité), Hector Zazou n’en continue pas moins à composer et enregistrer de la musique de chambre expérimentale, et fait paraître trois albums dans la série Made To Measure (Geographies, Reivax au Bongo et Geologies).

Durant les années 90, Hector Zazou se lance dans une série d’albums-concepts, avec le concours de nombreux invités. À commencer par le disque des Nouvelles Polyphonies Corses (qui lui vaut une Victoire de la Musique), suivi de l’hommage à Arthur Rimbaud, Sahara Blue (avec John Cale, Bill Laswell, Khaled, Gérard Depardieu), Songs From The Cold Seas (avec Björk, Suzanne Vega, Siouxsie...), Lights In The Dark (avec Brendan Perry, Ryuichi Sakamoto, Peter Gabriel…). À part Sahara Blue (édité par Crammed dans le cadre de la série Made To Measure), ces ambitieux projets sont réalisés grâce au soutien financier de compagnies majors.

Zazou écrit et/ou produit ensuite une quinzaine d’albums, qui lui valent une réputation internationale en tant que réalisateur. Au bout du compte, il aura enregistré pas moins de onze albums chez Crammed depuis le début des années 80, le dernier étant son album posthume In The House Of Mirrors, enregistré avec des musiciens classiques d’Inde et d’Ouzbékistan.

Hector Zazou est décédé prématurément, en septembre 2008, à l’âge de 60 ans.



Hector Zazou: discographie sélective


ZNR (Zazou-Racaille): Barricade 3 (1976, réédité par ReR Megacorp)


ZNR : Traité de Mécanique Populaire (Invisible, 1978)


Zazou/Bikaye : Noir et Blanc (Crammed, 1983)


Zazou/Bikaye : Mr. Manager (Crammed, 1985, réédité en 2020)


Hector Zazou : Reivax au Bongo (Crammed, 1986)


Hector Zazou : Géologies (Crammed, 1988)


Zazou/Bikaye : Guilty (Crammed, 1988)


Hector Zazou & Les Nouvelles Polyphonies Corses”(Universal, 1991)


Hector Zazou : Sahara Blue (Crammed, 1992),
— 
w/Ryuichi Sakamoto, Gérard Depardieu, John Cale, Tim Simenon, Bill Laswell, Khaled etc


Hector Zazou : Songs From The Cold Seas (Sony, 1995)
— 
w/Björk, Suzanne Vega, Siouxsie etc


Hector Zazou & Harold Budd : Glyph (Crammed, 1995)


Barbara Gogan & Hector Zazou : Made On Earth (Crammed, 1997)


Hector Zazou : Lights In The Dark (Warner, 1998)


Hector Zazou & Sandy Dillon: 12(Las Vegas Is Cursed) (Crammed, 2001)


Hector Zazou : Strong Currents (Materiali Sonori, 2003)
— 
w/Laurie Anderson, Lisa Germano, Jane Birkin etc


Hector Zazou : Corps Electriques (Signature/Radio France, 2008)
— 
w/Katie Jane Garside, Nils Petter Molvaer etc


Hector Zazou & Swara : In the House of Mirrors (Crammed, 2008) 


Hector Zazou par…


Il s’appelle Hector en hommage à un grand chanteur de twist fou de l’époque yé-yé, qui s’appelait Hector, se promenait toujours avec un valet de chambre et chantait des choses ravissantes: “je vous déteste, oui, je vous hais”. On l’a appelé Zazou à cause de sa grande taille, bizarrement soulignée par des pantalons trop courts et des vestes trop larges. Il s’est décidé à adopter ce surnom quand il s’est aperçu, en voyant un film de Roger Pierre et Jean-Marc Thibault où chacun traitait l’autre de zazou, que c’était une splendide insulte.

(Hervé Guibert, Le Monde, 1985)


Passeport éventuel: les quatre nuits d’un rêveur, Roussel, Robert Wyatt, Satie, Duchamp…
(Libération)

Les Anglais ont Peter Gabriel, les Américains David Byrne, les Français Hector Zazou
(Jean-François Bizot)








Releases

HECTOR ZAZOU - In The House Of Mirrors
HECTOR ZAZOU
In The House Of Mirrors
craw47
HECTOR ZAZOU - Sahara Blue
HECTOR ZAZOU
Sahara Blue
mtm32
HAROLD BUDD - Glyph
HAROLD BUDD
Glyph
mtm37
ZAZOU BIKAYE - Noir et Blanc
ZAZOU BIKAYE
Noir et Blanc
cram105