Enfin édité pour la première fois en CD, ce premier album des "Tueurs" causa bien des remous au Royaume de Belgique lorsqu'il parut en 1977 via Kamikaze, le label éphémère de Marc Moulin. A cette époque, le groupe était formé d'un assortiment de fauteurs de troubles, chauffeur de taxi, cuisiniers, joueurs de poker professionnels et autres délinquants musicaux qui massacraient allègrement tous les genres, du rockabilly au punk en passant par la chanson française (voir la reprise de Brassens, qui passe un sale quart d'heure), la musique de fanfare et le free jazz.

La présente réédition comprend plusieurs inédits, dont des versions live du Machine Gun de Jimi Hendrix et de Bébé Eléphant de Dick Annegarn.

A l'époque de Special Manubre, les Tueurs de la Lune de Miel avaient acquis un statut quasi-légendaire à Bruxelles. Sous la houlette du redoutable Yvon Vromman (concepteur, leader et compositeur), ils sévissent dans les cafés et salles dans la capitale belge, où l’issue de leurs concerts est toujours imprévisible (il leur est arrivé de jeter de la viande crue sur leur public). Arrogants et férocement drôles, ils pratiquent une sorte d'art brut (s'il faut en croire le communiqué de presse rédigé en 1977 par Marc Moulin).

En 1980, le noyau des Tueurs —Yvon, Jeanf Jones Jacob III & Gerald Fenerberg— et les deux membres d'Aksak Maboul, Marc Hollander (fondateur du label Crammed) et Vincent Kenis (futur producteur de Konono N°1 et Staff Benda Bilili) se recrutent mutuellement… Ils sont rejoints par la chanteuse Véronique Vincent, et enregistrent l'album "Les Tueurs de la Lune de Miel/The Honeymoon Killers", un classique avant-pop qui est porté aux nues par la presse européenne (y compris britannique: les Tueurs font même la une du sacro-saint NME, voir au verso), et devient au passage le premier succès international de Crammed. Ce 2e album a été réédité en 2003 dans la cadre de la série Crammed Global Soundclash 1980-89. Le groupe se dissout en 1985. Yvon Vromman disparaît en 1989.

Les Tueurs et leur 1er album, vus par Marc Moulin

"Les Tueurs de la lune de miel" est un groupe comique. Ou en tout cas, ils croient qu'ils sont comiques, comme ils croient qu'ils font de la musique.

Il y a trois grands musiciens (sic) et trois musiciens de taille moyenne parmi les "Tueurs de la lune de miel". D'habitude, les petits sont méchants, vilains et malins comme des singes, et les grands sont élancés et bellâtres, mais pas très intelligents. Avec les "Tueurs", c'est le contraire; à moins que ce ne soit l'inverse.

Le guitariste (Gérald!) a un son horrible, tout le monde lui dit, mais il croit que c'est pour le taquiner. La différence entre ce qu'il croit jouer et ce qu'il joue réellement est pathétique (à mon avis).

Le bassiste joue tellement faux qu'on a cru longtemps qu'il avait un morceau d'avance sur ce que jouaient les autres. Le batteur (Jean- François) est tellement sourd qu'on est obligé de lui mimer les morceaux. Ce qui ajoute une dimension dramatique au jeu de scène déjà anormalement insoutenable des "Tueurs".

Le sax et le cornet jouent d'une manière tellement bizarre et incontrôlable que chacun des deux croit jouer ce que l'autre fait en réalité. Cela fait tellement de peine qu'on hésite à en parler plus longtemps.

Quant au guitariste-saxophoniste-chanteur (!), Yvon, il est l'âme damnée du groupe, celui sans lequel, pour le plus grand soulagement de la bonne société belge, les Tueurs auraient renoncé à leur méfaits. Sans son action maléfique, les autres "musiciens" n'auraient jamais glissé sur la pente savonneuse de la délinquance musicale.

Sauvez la civilisation! N'achetez pas le disque des "Tueurs de la lune de miel" !

(Communiqué de presse original pour "Spécial Manubre", 1977)