"Archivo Pittoresco"
CD
1. Poema / Poème
2. Pesadelo da história
3. Ojos, si quereis vivir
4. Las penas
5. Rose
6. Ausencia

Elle a seulement fait paraître deux albums depuis 1998, mais la mystérieuse chanteuse, compositrice, guitariste et poète portugaise a réussi un exploit rare: agréger une foule d’admirateurs dévoués, à travers le monde, une sorte de société secrète internationale dont les rangs grossissent avec chacune de ses trop rares apparitions.

Lula Pena invente ses propres règles, tant dans la conduite de sa “carrière” que dans sa musique. Sa voix est habitée et renversante, son jeu de guitare unique, son approche profondément émotionnelle et intuitive, quoique également conceptuelle et cérébrale. Elle a cette façon quasi-chamanique de ne faire qu’un avec son instrument lorsqu’elle se lance dans ses longues pièces vagabondes, durant lesquelles le bois, les cordes, les mots, le corps humain, le souffle et la voix finissent par fusionner, par se transformer en un seul animal surnaturel et fabuleux.

La musique de Lula Pena est un organisme vivant. Elle navigue sur une mer étrange, dont les rivages ont pour noms folk blues, flamenco, chanson française, phado (elle aime l’épeler ainsi) ou bossa nova, qu’elle frôle tous sans en laisser aucun intact.

Archivo Pittoresco reflète le vagabondage inspiré de Lula Pena: les textes des treize chansons de l’album circulent entre portugais, français, anglais, espagnol, italien et grec lorsqu’elle chante des textes d’auteurs qui vont de Manos Hadjidakis, Violeta Parra et elle-même au surréaliste belge Louis Scutenaire, aux compositeurs de la BO originale de la série Twilight Zone ou encore à des noms moins connus, voire anonymes.

Répondons à l’invitation que nous lance le titre de la dernière chanson de l’album (Come Wander with Me), et partons à l’aventure.



LULA PENA PARLE D'ARCHIVO PITTORESCO

S’agissant d’un répertoire fluide et ouvert, un corps vivant se comporte différemment lors de chaque interprétation. Les différentes chansons et fragments dialoguent entre eux de façon éphémère, et les combinaisons sont nombreuses et fluctuantes. Dicté par les circonstances, par la qualité de l’écoute et du jeu, l’ordre qui figure dans cet album n’est qu’une possibilité linéaire parmi tant d’autres, comme une photo instantanée.

Archivo Pittoresco est basé sur le tropisme de certains peintres du 19e siècle, qui quittèrent l’atelier pour explorer les paysages et leurs éléments organiques, tels que ruines, asymétries, dissonances, incertitudes et ombres. Une démarche que je voulais m’efforcer d’appliquer à la musique: vagabonder intuitivement, parmi la mémoire et l’oubli, entre des langues et des sons différents, en posant des questions et non pas en donnant des réponses, pour tenter de m’approcher d’une source de l’inconscient collectif.

Le destin et la destination se confondent. Je suis davantage intéressée par ce que les choses ont en commun, que par ce qui les distingue, et suis attirée par ce que je perçois intuitivement comme un tronc commun à toutes les musiques. Révéler ces dimensions cachées en utilisant des moyens très simples (une voix et des cordes) est une expérience subtile, que j’essaie de partager entre nos corps résonants.

 
À PROPOS DES CHANSONS

Poema/Poème : l’un de mes textes en français (dans lequel les sons et les significations génèrent graphiquement une autre perspective sémantique, une troisième interprétation possible), suivi d’un poème du surréaliste belge Louis Scutenaire. “Je suis de faim, mille” s’oppose à “Je ne suis pas d’une grande pauvreté”.
 
Pesadelo da história est basé sur un texte du poète brésilien contemporain Ronaldo Augusto, qui traite de la question de l’héritage africain. Il écrit “Le Noir que je suis, mon âme incluse “, et met en lumière l’esclavage que nous nous infligeons à nous-mêmes.
 
Ojos si quereis vivir est une chanson du 17e ou du 18e siècle. Un appel à ne pas négliger les dimensions spirituelles de l’existence. En substance: aie confiance en ce qui pénètre en toi via les yeux, et en ce qui sort de toi par les yeux. Ce qui sort de ton coeur pénètrera dans ton coeur. Ecouter le silence, c’est faire un pas vers la vision.

Las Penas : dans l’album, les interprétations sont séparées en “morceaux”, mais en réalité il s’agit d’une seule, longue pièce, et ce fragment est la continuation du précédent. Il est basé sur un très viel enregistrement mexicain, l’un des premiers à être effectués sur les cylindres d’Edison. Il y est question de se plonger dans les émotions, de façon très corporelle. La notion de désir apparît donc dans ces paroles, juste après la chanson qui traite du domaine spirituel.
 
Rose est une chanson d’Ederaldo Gentil, un compositeur brésilien, disparu l’année dernière. Rose est un prénom, un fleur… mais, par d’autres biais phonétiques latins, “qu’est-il arrive à Rose” peut être compris comme “qu’entends-tu, si tu oses ?”. Il s’agit d’avoir le courage d’agir, de quitter un état pour un autre. Un mot est parfois comme une boite qu’on ouvre, d’où surgissent différentes significations.
 
Ausencia (Absence) est dûe à la compositrice et ethnomusicologue chilienne Violeta Parra (qui a initié le renaissance et la réinvention de la musique populaire latino-américaine). L’absence est un paradoxe. Notre esprit et notre mémoire ne nous permettent jamais d’être pleinement  présents. Lorsque je joue, j’essaie d’atteindre simultanément la présence et l’absence. Je préfèrerais ne pas être là, mais j’y suis… Le processus d’expression musicale consiste aussi à penser en temps réel, que dans l’instant, ce qui permet parfois d’être là/pas là et, lorsque cela se produit, c’est extraordinaire.
 
Pes Mou Mia Lexi est une chanson de l’illustre compositeur grec Manos Hadjidakis. Le titre signifie “Donne-moi le mot”. Je l’ai adoptée il y a quelques années, lorsque la Grèce est devenu le premier pays de l’UE à connaître un effondrement économique. Nous étions dès lors tous Grecs, dans un monde lexical. Comme dans une réactualisation d’un mythe grec, à la recherche du mot qui peut sauver…
 
A Diosa (No potho reposare) est une chanson traditionnelle en dialecte sarde. J’ai joué en Sardaigne il y a de nombreuses années, quelqu’un chantait cette chanson tout le temps, et elle m’est restée à l’esprit pendant vingt ans, bien que je n’avais retenu que deux couplets. J’ai fini par vouloir apprendre le reste… Le premières paroles sont “je ne peux pas me détendre, je ne peux pas me coucher”.
 
O ouro e a madeira signifie “L’or et le bois”. C’est un message d’alchimiste. Il y est question de l’huître, qui vit dans la vase et produit des perles magnifiques, ce qui est du pur code alchimique. La suite décrit une sorte de processus de distillation ou de réduction: “Je ne voulais pas être un champ, il m’aurait suffi d’être une graine, pas un sentier mais un raccourci, pas le concert mais une chanson…”
 
Cantiga de amigo (Chant de l’ami). A l’époque des troubadours médiévaux, il existait un genre de chanson dont le narrateur était féminin, même lorsque l’auteur était un homme. Celle-ci parle de découvrir de nouvelles façons d’aimer. L’amour est sauvage et libre, mais également mystique et symbolique, il y a toujours cette dualité de niveaux. Tant de paroles liés à l’amour ont été inventées durant cette période…
 
Deus e grande , en d’autres mots: “Dieu est grand”, “Allah akhbar”, etcetera. C’est un poème portugais contemporain, extrait d’un livre intitulé Reconnaissance. Il ne s’agit pas de religion au sens institutionnel, mais plutôt au sens étymologique latin: re-ligare, créer et ré-créer des liens, relier. Dieu n’est qu’une plateforme, un réseau, et chacun fait ses propres connexions, on se permet de croire ou d’avoir confiance en ce dont on est capable. Ne pas être croyant vous rend encore plus religieux, car on essaie de créer ses propres connexions.

Breviário, ou bréviaire. Le mot signifie également “résumé”, “sommaire”. Ce texte parle d’arriver par bateau, de passer de la mer à la terre. Qu’en est-il de cette membrane entre met et terre ? Ce sont les mots d’une femme brésilienne, l’essayiste Jerusa Pires Ferreira. Invitée à écrire un poème basé sur une photo qui montrait un paysage maritime avec un bateau rentrant dans un petit port, elle a imaginé les moments qui précédent et suivent l’instant du cliché.
 
Come Wander With Me : chanson issue de la série télévisée originale (La quatrième dimension, 1959). J’ai débuté de nombreux concerts par cette chanson, qui servait d’invitation à venir se promener avec moi à travers plusieurs mondes. A présent, c’est elle qui clôt l’album… c’est peut-être une façon d’inciter l’auditeur à venir me voir en concert, et vivre le rituel que constitue un contact direct avec l’interprète, une expérience différente de celle qu consiste à écouter un enregistrement chez soi.


Releases

LULA PENA - Archivo Pittoresco
LULA PENA
Archivo Pittoresco
cram270
LULA PENA - Come wander with LULA PENA
LULA PENA
Come wander with LULA PENA
cram270