Eduardo Mateo & El Kinto, Horacio Buscaglia, Diane Denoir, Verónica Indart …
 
Initialement publié en 1971, pendant la sombre période de la dictature militaire en Uruguay, cet album singulier impressionna fortement et durablement Juana Molina durant son enfance. A tel point que, au terme d’un long travail entrepris avec son producteur associé Mario Agustin Gonzalez, Juana réédite aujourd’hui cet album sur Sonamos, le label qu’elle vient de créer. Cette édition anniversaire paraît sous forme d’un double album vinyle au tirage limité, comprenant le disque original, seize morceaux inédits, ainsi qu’un épais livret informatif.
 
Musicasión était une série de spectacles collectifs d'un groupe d'artistes, mêlant éléments théâtraux, poésie, effets scéniques improvisés, et bien sûr musique, avec un mélange très particulier de rock (alors appelé beat, dans une double référence aux groupes pop britanniques des années soixante et à la poésie de la Beat Generation), de candombe (le style de musique percussive créé en Uruguay par des descendants d’esclaves africains libérés), de tango, de jazz et de bossa nova. Une combinaison qui partage bien plus qu'une simple ressemblance fortuite avec la Tropicália brésilienne, née à peu près à la même époque.
 
Les concepteurs de ce projet étaient le grand chanteur, auteur-compositeur Eduardo Mateo et son ami Horacio Buscaglia, poète, acteur et metteur en scène. Quatre épisodes différents de Musicasión ont été mis en scène en 1969 (avec 14 représentations au total), mettant en vedette des musiciens d'El Kinto, le groupe de Mateo, ainsi qu’une foule d'autres artistes invités. L'album original a été assemblé en 1971, à partir d'enregistrements réalisés avant et pendant ces spectacles.
 
Déjà auteur-compositeur-interprète vénéré à l'époque, Horacio Molina (le père de Juana) connaissait Eduardo Mateo, qui vint lui rendre visite lors de son voyage en Argentine. “Musicasión 4 ½ a fait son apparition à la maison parce que Mateo en a donné un exemplaire dédicacé à mon père, durant le séjour qu’il fit à Buenos Aires en octobre 71, pour enregistrer son album ‘Mateo solo bien se lame’ . Je pense que je fais la musique que je fais parce que j’ai écouté Musicasión 4 ½ et les chansons de Mateo depuis ma plus tendre enfance. C’est une chose que j’ai gardée pour moi (car elle ne semblait intéresser personne), et qui m’a nourrie sans que je m’en aperçoive”, raconte Juana.
 
En raison des circonstances de l’époque et du régime en place, l’édition originale n’a pas pu atteindre un grand nombre d’auditeurs hors de l’Uruguay (où sa diffusion n'a pas été encouragée par les autorités, loin s'en faut, en raison de la nature subversive de certaines paroles et poèmes). Pourtant, Musicasión a exercé une influence souterraine mais réelle. L’intérêt international pour l’œuvre d’Eduardo Mateo s’est développé après sa mort en 1990, puis suite à la publication d’une biographie en 1994.
 
En 2020, en plein confinement pandémique, une série de bandes inédites ont fait une apparition quasi-magique, créant la possibilité de célébrer le cinquantième anniversaire de Musicasión 4 ½ avec davantage qu’une simple réédition. Cette nouvelle version contient donc l’intégralité de l’album original (remasterisé à partir d’une copie analogique récemment retrouvée), ainsi qu’un deuxième LP contenant 16 enregistrements inédits, par les mêmes musiciens, tirés de bandes de première génération.

“Lorsque j’ai écouté ces enregistrements inédits, je suis presque tombée en pâmoison. Le choc produit par l’écoute de morceaux inédits de El Kinto a duré plusieurs jours, au bout desquels j’ai enfin pu écouter le reste des inédits, avec la même intensité. Comment ces musiques ont-elles pu demeurer dans l’obscurité pendant aussi longtemps ?” se demande Juana.

Cette réédition magnifiquement soignée d’un chef-d’œuvre perdu passionnera certainement les amateurs de musique à travers le monde. Le disque paraît uniquement double vinyle. Pour des questions de droits, il ne sera pas disponible via les services de streaming ou de téléchargement.