Avec son irrésistible mélange de musique électronique puissante et de sonorités arabes et moyen-orientales, le groupe parisien a enflammé les scènes et conquis les publics français et internationaux suite à la parution de son premier album Musique de France(2016).
Dans son nouvel opus Jdid (nouveau, frais en arabe), qui paraît en octobre 2019, le groupe amplifie le dialogue entre les rives nord, sud & est de la Méditerranée (la rive nord s'étendant, dans le cas présent, aux berges de la Tamise, de la Spree et de l'Hudson…). Acid Arab y emmène son vocabulaire dancefloor en voyage, avec la participation d'invités triés sur le volet.
Jdid
Un corps qui danse n'a pas de nationalité ni de frontière. Il est plutôt la synthèse spontanée d'une multitude de vibrations qui viennent l'incarner. Jdid (qui signifie en arabe neuf, nouveau, frais), le second album d'Acid Arab, est à l'image de ce corps : il déjoue les étiquettes mais sa chair se nourrit plus que jamais du dialogue entre musiques arabes et techno occidentale.
Ce dialogue avait déjà été ouvert avec Musique de France, leur premier LP, il est désormais encore plus affirmé. Kenzi Bourras, à l'origine claviériste pendant les concerts, est d'ailleurs devenu un membre du groupe à part entière. Et sa culture algérienne n'a cessé d'irriguer les compositions de Jdid.
Jdid. La fraicheur, donc. L'hédonisme, aussi. Puisque la formation franco-maghrébine a orienté la majorité de ses pistes vers une grammaire dancefloor. Entre sable et béton, des warehouses banlieusardes aux sous-sols enfumés d'Oran, c'est une même poussée libertaire qui anime cet album, faisant rimer raï originel, dabke irako-syrien ou chants du Sahel avec la rugosité des machines, et intervenir de nombreux invités.
Faire danser les corps n'est pas ici une injonction, mais un appel à leur émancipation. Un appel qui se matérialise d'abord par une première série de titres, placés sous le signe de l'Algérie. Jdid débute ainsi par Staifia. Avec ses basses lentes et massives, Staifia (littéralement fille de Sétif), est une incantation habitée par la voix de la chanteuse de raï algérienne Radia Menel, sur fond de flûte gasba.
Puis vient Electrique Yarghol, conjonction d'une ligne rythmique vicelarde et des boucles entêtante de yarghol, double hautbois traditionnel de Palestine.
Nassibi, quant à lui, a été le seul thème composé en tournée, dans un van déglingué entre deux dates, ce qui explique peut-être sa cadence syncopée. Une cadence sur laquelle la chanteuse Amel Wahby, figure algérienne du raï à Paris, y claque sa science du phrasé.
S'enchaine ensuite Club DZ (DZ pour DjaZaïr, l'Algérie), sans doute le track le plus emblématique de l'album: Chicago y rencontre Alger, le flanger acidifiant les darboukas du percussionniste Shadi Khries sur un beat minimaliste et brut.
Sur Rimitti Dor, Sofiane Saidi chante l'histoire d'un mec bourré dans sa bagnole, qui parcourt Oran en écoutant Cheikha Rimitti en boucle pour oublier un amour impossible. Mauvais garçon, alcool et désespoir, trois grands tropes du raï classique.
Sixième titre de Jdid, Rajel fait pivoter l'album de l'Algérie vers le reste de l'Afrique et du monde arabe. Conjuguant mezwed tunisien à des motifs '90s de big beat anglais, Rajelest le fruit d'une collaboration avec le très talentueux producteur belgo-tunisien Ammar 808, dont l'album a été l'un des préférés du groupe en 2018.
Presque pour apaiser la fièvre, Les filles de Illighadad et leur guitariste Ahmoudou Madassane offrent avec Soulan (Doucement, dans une langue du Niger) un baume envoutant et deep. Via le label Sahel Sounds, ces musiciens nigériens ont été l'une des révélations de ces dernières années.
La fièvre reprend, qu'on imagine pleine de strychnine à l'écoute du Was Was (Idées noires), pure figure de style acid house à la Armando, dont les nappes perverses sont un clin d'oeil à Paranoid London.
S'ensuit l'héroïque Ejma, mêlant arrangements synthwave/coldwave à la voix infra-rouge du chanteur turc Cem Yildiz (déjà présent sur le Stilde Musique de France), et que l'on fantasme d'éprouver dans une cave gothique d'Istanbul.
Une piste plus loin, l'obsession d'Acid Arab pour le dabke irako-syrien est confirmée par Ras El Ain, ré-interprétation technoïde du genre, en compagnie de Rizan Said, claviériste kurdo-syrien mythique, qui a écrit et joué les meilleurs titres d'Omar Souleyman.
Et puis, Jdid se clôt comme il a commencé: par l'Algérie. En collaboration avec la chanteuse Cheikha Hadjila, Malek Ya Zahri prend les contours très nets d'un raï '80s pur jus, sorte d'évocation mélancolique et divagatrice d'un coucher de soleil de l'autre côté de la Méditerranée.
Jdid. Ou un second album parfaitement décomplexé de musique de danse, enrichi par l'expérience de trois années de scène. Un creuset chauffé à blanc, dans lequel le feu, la salive et la sueur dissolvent et régénèrent le plomb de nos poncifs.