Les pièces instrumentales habitées qui forment l'ossature de "Bardo Hotel" sont parsemées de fragments de dialogues, messages enregistrés et autres sons recueillis à la sauvette au cours des pérégrinations de Tuxedomoon.
L'album est paru sous l'étiquette Made To Measure, la légendaire collection que Crammed avait consacré aux musiques instrumentales durant les années 80 et 90, symboliquement réactivée pour l'occasion.
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Tuxedomoon sont des putains.
Ils ont fricoté avec plus d'un siècle entier de musique: de l'atonalité aux diverses époques du jazz, de l'électronica au beat pop, du punk au minimalisme en passant par des variétés mutantes de musiques du monde qui ni moi-même ni les conseillers juridiques des créateurs ne pourrions identifier devant un tribunal qualifié.
Cependant, le résultat de cette indécente et constante promiscuité fait partie des musiques les plus incroyables jamais entendues par le critique qui signe ces lignes. Et cette bande-son (qui fait allusion au roman de Brion Gysin ‘The Bardo Hotel’, dont l'action se déroule dans l'hôtel parisien où Gysin et William Burroughs inventèrent la technique radicale du "cut-up/fold-in") est l'un des enregistrements les plus merveilleusement lumineux jamais produits par Tuxedomoon.
Bizarrement, ces morceaux me font penser 'In A Silent Way', l'hypnotique album de Miles Davis. ‘Bardo Hotel’ est truffé de collages style cut-up et d'objets sonores trouvés mais, intentionnellement ou non, les sonorités me ramènent à ‘Shhhh/Peaceful’ and ‘In a Silent Way/It’s About That Time’ (et nous pourrions aussi évoquer les saetas ‘Sketches of Spain’ pendant que nous y sommes). C'est le trompettiste Luc van Lieshout qui est la star dans ces passages, quoique Steven Brown fait preuve d'une belle ardeur au saxophone; et les cigales en font autant (j'adore les albums où des cigales se font entendre). Le bassiste Peter Principle est l'ancre, la fondation, tandis que Blaine Reininger comme toujours se délecte dans ses postures de violoniste rom un peu camp. Au final, une musique énorme, surnaturelle, opératique, filmée en nuit américaine, parcourue d'étranges perturbations météorologiques … et c'est l'un des disques les plus magiques dans la riche carrière de Tuxedomoon.
John Gill
(John Gill a dirigé les rubriques livres et musique de Time Out et a collaboré à The Times, Sounds, Vox and Smash Hits. Il est l'auteur d'un roman, Hype!, et d'un essai intitulé Queer Noises [Male and Female Homosexuality in Twentieth-Century Music]).